samedi 5 octobre 2013

Interview Ministre camerounais de la Promotion de la femme et de la famille



PROFESSEUR MARIE-THERESE ABENA ONDOUA


« Les veuves subissent une grande perte, mais doivent continuer à prendre soin des enfants »



Le Ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille dresse le bilan de la célébration de la troisième édition de la Journée Internationale des Veuves qui a été célébrée le 23 juin 2013


Le 21 décembre 2010, l’Assemblée Générale des Nations Unies a institué la journée internationale des veuves dont la célébration est fixée au 23 juin de chaque année. Rendue à  sa troisième édition, quel bilan et quels enseignements pouvez-vous en faire ?
Depuis 2011, notre pays se joint effectivement à la Communauté internationale, le 23 juin chaque année, pour commémorer la Journée Internationale des Veuves. Les thèmes des deux premières éditions étaient respectivement : « Etat des lieux de la situation des Veuves au Cameroun », et « Droit des Veuves ».
L’édition 2013 était quant à elle, placée sous le thème « Agir ensemble pour mettre un terme aux pratiques et coutumes discriminatoires à l’égard des veuves».
La première édition de cette journée, a été l’occasion pour notre département ministériel d’organiser un symposium sur l’état des lieux de la situation des veuves au Cameroun. Cette rencontre qui a donné lieu à plusieurs témoignages a révélé que, quelques soient les catégories sociales et le milieu de résidence, les veuves rencontrent toutes ou presque, les problèmes de même nature : celle de la violation de leurs droits par les familles et les communautés. Pour celles dont les conjoints travaillaient dans la Fonction publique ou dans le secteur parapublic et privé, le chemin qui mène à l’accès aux droits du conjoint survivant, est jonché de nombreuses embûches.
Cette rencontre a également permis de mettre en évidence, l’insuffisance  de vulgarisation des textes juridiques de protection des droits des veuves et de leurs enfants ; la complexité des pièces à verser aux dossiers de pension et de succession ; l’ignorance des procédures par les veuves, et l’obsolescence de certains textes, etc.
La deuxième édition centrée sur les droits des veuves, a permis l’élaboration d’un plan d’action pour l’encadrement ces veuves dont les activités prioritaires portent sur : la formation, l’information et la communication aux côtés de l’accompagnement psychosocial, administratif et juridique des veuves.
C’est le lieu pour moi de vous dire par exemple qu’en ce qui concerne les Services Centraux, nous avons durant les 12 derniers mois, accompagné 58 veuves dans des cas de paiement des pensions diverses, de litiges fonciers, de jugement d’hérédité, d’assistance judiciaire, de bigamie et d’exécution des décisions de justice.
Dans tous ces cas que je viens de citer, nous avons bénéficié de la collaboration bienveillante des départements ministériels intéressés et ce parfois, avec l’implication personnelle des chefs desdits ministères.

Quels sont les objectifs de cette journée ?
Je dois d’abord préciser que la Journée Internationale des Veuves a été instituée par la Résolution 65/189 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 21 décembre 2010.
Cette Résolution adoptée par consensus a bénéficié du co-parrainage de 56 pays dont une majorité d’Afrique. La Journée vise à sensibiliser  l’opinion, afin d’obtenir une meilleure défense des droits des veuves partout dans le monde. Elle est donc une occasion pour agir en faveur de la réalisation et de la reconnaissance de tous droits des veuves longtemps restés invisibles, négligés et ignorés. En outre, elle interpelle les gouvernants pour tenir leurs engagements visant à garantir les droits des veuves tels que consacrés par le droit international, et notamment, la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’Egard des Femmes (CEDEF), et la Convention relative aux Droits de l’Enfant.

Quelles ont été les spécificités de l’édition 2013 ?
La première spécificité porte déjà sur le thème : « Agir ensemble pour mettre un terme aux pratiques et coutumes discriminatoires à l’égard des veuves ». Une thématique qui nous plonge au cœur de notre socio-culture et qui nous invite à faire une introspection sur la pertinence et le bien-fondé de certaines pratiques. A cet égard, nous avons commencé à identifier les pratiques et coutumes qui font problème dans le cadre de l’élaboration d’une cartographie de celles-ci. Une fois ce travail terminé, nous pourrons avoir une visibilité et une lisibilité des particularités socioculturelles afin d’ajuster au mieux nos actions sur le terrain.

Peut-on avoir une idée des données statistiques des veuves au Cameroun ?
Au Cameroun, les veuves représentent une frange importante de la population. Selon le troisième Recensement Général de la Population et de l’Habitat, elles frisent les 8,3% de la population féminine totale, tandis que 1,5% d’hommes sont frappés par le veuvage. Selon la même source, ces taux croissent malheureusement avec l’âge. A titre d’illustration, dans la tranche 50-54 ans, les veuves représentent 21 ,3% de la population et les veufs sont évalués à 3,1%. Entre 55 et 59 ans, 29,5% de la population sont des veuves contre 3,8% de veufs. De 60 à 64 ans, on dénombre 39,5% de veuves et 5,5% de veufs. Dans la tranche 65-69 ans, on compte 48,2% de veuves contre 7% de veufs.

Quels sont les principaux problèmes auxquels elles font face ?
Les femmes qui perdent leurs époux subissent une grande perte, mais doivent continuer à prendre soin des enfants, gérer leurs emplois et s’accomplir. Mais elles doivent le faire dans l’adversité, non seulement en raison de leur chagrin, mais aussi des conventions sociales discriminatoires. C’est ainsi qu’elles sont victimes des violences de toutes sortes, sans qu’aucune voix collective ne se fasse entendre en faveur de leurs droits, ou pour appeler à leur protection. Je citerai par exemple : les expulsions des domiciles conjugaux, les discriminations, les abus, les exploitations, le lévirat, les rites de veuvage dégradants et deshumanisants. Très souvent, leurs enfants vivent dans un environnement hostile, victimes de violences et de maladies,  réduits à la servitude, privés d’éducation et sont des cibles des trafiquants d’être humains. En outre, j’évoquerai les rites funéraires dans lesquels sont incorporés les rites de veuvage, ont été institués par nos aïeux pour garantir l’unité et la cohésion de la famille, ainsi que le bonheur des membres qui survivent au décès de l’un d’eux. Cependant, cet objectif initial a été transformé avec l’évolution du temps, rendant ces rites plutôt néfastes au bien-être des veuves. Dans un tel contexte, l’encadrement des veuves et des orphelins devient un impératif notamment, en amenant les communautés et les familles à adopter des comportements favorables à la création d’un environnement socioculturel propice à l’épanouissement et de leurs enfants.

M. Ban Ki-Moon, Secrétaire Général de l’ONU, affirme que « Lorsqu’elle perd son mari, la femme ne devrait pas perdre ses droits. Comment promouvez-vous ces droits dans votre département ministériel ?
Au Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille, nous menons des activités de sensibilisation, de plaidoyer et d’accompagnement. La sensibilisation et l’information concerne aussi bien les veuves, leurs enfants que les communautés sur les droits des veuves et de leurs enfants, ainsi que  sur les procédures  réglementaires à suivre dans le cadre des dossiers administratifs. Dans le même sens, nous les encourageons à se regrouper pour mieux défendre leurs droits et pour vulgariser ces droits auprès d’un plus grand nombre.
La formation est orientée vers les personnels du Minproff et des organisations de la Société Civile en vue d’un encadrement efficace des veuves et de leurs enfants. Le plaidoyer se fait auprès des chefs traditionnels et des leaders communautaires qui sont des dépositaires de la tradition en vue d’une humanisation de certaines pratiques traditionnelles et du respect des droits fondamentaux des veuves. L’accompagnement des veuves quant à lui est une activité de routine au cours de laquelle les requérantes bénéficient des services d’écoute, de conseil et de médiation familiale ainsi que de l’accompagnement juridique, le cas échéant.

Quel rôle jouent les associations de veuves dans la célébration de cette journée ?
Je tiens à rappeler que ces associations fonctionnent sous le régime de la Liberté des Associations. Le Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille n’interfère pas et ne s’ingère pas dans leurs activités. Dans notre rôle d’encadrement de formation et d’accompagnement, nous mobilisons et travaillons avec ces associations, pour qu’elles servent de relais, de courroies de transmissions de nos messages et nos enseignements.


Entretien mené par Mathieu Meyeme

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