samedi 5 octobre 2013

EX-EMPLOYÉS DES SOCIÉTÉS D’ÉTAT



La mort au bout du tunnel

Attendu depuis 25 ans, le paiement des droits sociaux et de la prime de reconversion aux ex-employés des 48 sociétés d'état privatisées ou liquidées a entrainé la mort d’un sexagénaire le 17 septembre dernier à Yaoundé.

« Il est sorti hier pour venir toucher son argent (…) Il a reçu un choc et s’est retrouvé  à l’hôpital », raconte un jeune homme d’une vingtaine d’année, la mine défaite. Visiblement le fils du défunt. « Il était dans le coma. On lui a placé une perfusion. Le lendemain à 6h [le 17 septembre 2013, Ndlr], la maman nous a appelé pour nous annoncer qu’il est mort », poursuit le jeune homme, devenu conducteur de moto taxi, faute de moyens pour continuer ses études. Et d’ajouter, «S’il touchait son argent depuis cette situation n’allait  pas arriver ». Fabien Mitsi Selma, 65 ans, ex-employé de la Mission de développement des cultures vivrières (Mideviv), s’est écroulé devant l’immeuble de la Campost alors qu’il attendait de recevoir sa prime de reconversion instruite par le chef de l’Etat, paul Biya le 4 novembre 1988 avant de rendre l’âme quelques heures plus tard. Dans les minutes qui ont suivi ces instants tragiques, trois personnes dont Oumarou Maya Maya, autre personnel de la Mideviv se sont écroulés à leur tour et immédiatement transportés aux urgences de l’hôpital Central à Messa.
Au milieu de cette foule, certaines sources évoquent deux autres cas dont une dame décédée dans les mêmes conditions dans une agence d’une banque de la place. Un certain Mohammed serait actuellement hospitalisé après s’être écroulé alors que plus loin un homme visiblement affaibli et amaigri laisse entendre « Je suis diabétique. Je suis parti de Bafang en prêtant 5000 Fcfa qui n’ont suffit que pour mon transport. J’ai faim, j’ai soif et pourtant je n’ai même pas 50 Fcfa pour boire de l’eau ».
Cette marée humaine est constituée de plus de 1000 personnes, du troisième âge pour la plupart, hommes et femmes venant des dix régions du Cameroun pour recevoir les primes de reconversion instruite par le chef de l’Etat, le 4 novembre 1988. En attendant d’être payés, ces ex-employés dorment sur des morceaux de cartons à la belle étoile, se font asperger d’eau par la police anti-émeute. tandis que ceux qui finissent, par passer devant la caisse pour prendre le maigre pécule qui leur est réservé, doivent remplir un protocole transactionnel rédigé par le ministre des Finances, qui demande aux intéressées : «d’accepter de percevoir le montant correspondant à trois mois de salaire de base au titre de la prime de reconversion et pour solde de tout compte ». Ce document lie de manière individuelle, l’Etat du Cameroun à travers le ministère des Finances aux ex-employés. Son objet : « procéder au règlement à l’amiable et définitivement de la dette sociale, notamment la prime de reconversion due aux ex-employés des 48 sociétés d’Etat (art1) ». On peut- y lire que l’état s’engage « à payer à l’intéressé(e) un montant correspondant à trois mois de salaire de base au titre de la prime de reconversion et pour solde de tout compte». L’article 4 dudit contrat portant sur l’« autorité de la chose jugée du protocole » stipule que : « le présent protocole intervenu librement entre les parties, vaut transaction au sens de l’article 2052 du Code civil aux termes duquel les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. Elles ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion. Il emporte renonciation à tous les droits, actions ou à quelques titres que ce soit entre les parties. A cet effet, toute revendication ultérieure, individuellement ou collectivement, à la perception intégrale du montant sus-indiqué expose l’intéressé(e) à des poursuites judiciaires ». Un ensemble de dispositions jugé injuste par un ex-employé qui a affirmé : « donc il nous vole et on ne peut même pas se plaindre ». Carte nationale d’identité, lettre de recrutement, lettre de licenciement pour motif économique, carnet de cotisation Cnps, dernier bulletin de solde, protocole d’accord, constituent la liste des pièces à fournir par les ex-employés pour s’identifier.

A L’EPREUVE DES FAITS
A titre de rappel, les paiements dont il s’agit ici datent de plus de 25 ans depuis les premières séries de privatisations à la fin des années 1980 et au début de la décennie suivante d'entreprises publiques et parapubliques par les autorités camerounaises en application de mesures d'ajustement structurel imposées par le Fonds monétaire international (Fmi). A l'instar de la plupart d'autres pays d'Afrique subsaharienne, le Cameroun s'était vu soumis à une rude cure d'austérité qui exigeait un dégraissage des effectifs des administrations publiques en vue d'une réduction des dépenses de l'Etat dans un contexte de grave crise économique mondiale qui avait entraîné une baisse des recettes d'exportation issues principalement de la commercialisation de matières premières agricoles et minières non transformées. Une cinquantaine de sociétés d'Etat de divers secteurs d'activités avait été touchée par cette mesure qui avait mis à la porte, selon plusieurs sources, entre 40.000 et 50.000 personnes désignées par le vocable de « déflatés ». Ce sont ainsi près de 48 sociétés d'Etat qui ont été privatisées ou fermées, à l'instar des entreprises Sotuc, Sodecao, Zapi, Cenedec, Matgenie, Sofibel, Onaref, Onadef, Celucam, Biao, etc.
Pour rassurer les « déflatés », le chef de l’Etat avait alors promis de leur payer une prime de reconversion le 4 novembre 1988. Mais las d’attendre, les ex employés se sont constitués en un collectif qui à l’approche des fêtes de fin d’année ou de la rentrée scolaire, a pris l’habitude de manifester publiquement à proximité du Ministère des finances muni de pancartes en carton sur lesquelles on peut lire « 20 ans de misère, trop c’est trop ; Nous voulons le paiement de nos droits… ». D’autant que, selon Louis Bahiya, ex-agent de la Société des transports urbains du Cameroun (Sotuc). «  Ces droits ont été calculés par un comité et approuvés par le ministère du Travail, puis transmis au cabinet du ministre des Finances depuis le 5 décembre 2007. Le Minfi nous a promis d’entrer en pourparler avec la hiérarchie pour qu’on nous paie. Depuis, nous attendons le feedback. Nous attendons que le Minfi nous oriente pour qu’on nous paie ». Un autre manifestant affirmait aussi en décembre 2007 que «  Le ministre des Finances nous a promis le 1er septembre que nous allions tous inscrire nos enfants à l’école. Nous sommes revenus le 5 novembre, il nous a montré le rapport que le comité a déposé. Les deux premiers délégués que nous avions ont disparu après avoir perçu leur perdiem. Après plusieurs faux rendez-vous, nous avons fait un fax au Minfi le 30 novembre. Il nous a invités à le rencontrer le 11 décembre ».
Parmi les droits sociaux réclamés par ces derniers, l’on distingue, les arriérés de salaire, la prime de reconversion, les frais de congés, de déplacement définitif, etc.
Alors qu’en date du 18 septembre dernier, une coalition des associations camerounaises de la diaspora a rendu publique une lettre où elle demande que « toute la lumière soit faite sur la mort de l’ex employé », le Ministre des Finances, absent de Yaoundé au moment des faits, était face à la presse le lendemain pour lever les points d'ombre concernant cette opération. L'une des principales informations qu'il faut retenir de la communication faite par Alamine Ousmane Mey Alamine est que la deuxième tranche du paiement de la prime de reconversion des ex-employés des sociétés d'Etat se fera, dès le mois prochain, dans les régions de résidence des concernés ou de leurs ayant-droits. «Nous avons pris cette mesure afin de faciliter la tâche à ces personnes qui attendent depuis des années», a-t-il affirmé. En attendant, les ex employés continuent d’espérer en des lendemains qui chantent, afin que Fabien Mitsi Selma ne soit pas mort pour rien.

Mathieu Meyeme

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